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Une géopolitique du cyclisme

by François-Xavier Roux

Depuis le 1er janvier 2023, l’ancienne équipe BikeExchange-Jayco s’appelle désormais Jayco AlUla. AlUla est le nom d’une nouvelle destination culturelle d’Arabie Saoudite au cœur d’un vaste projet de développement. Ce naming témoigne de la volonté du pays d’utiliser le cyclisme comme vitrine touristique. Ce phénomène fréquent est de plus en plus présent dans le monde du vélo. Toutes ces stratégies illustrent la place qu’ont pris les soft power dans le sport plus globalement.

Les enjeux du sport

« Si la France brille à l’étranger par ses penseurs, ses savants, ses artistes, elle doit aussi rayonner par ses sportifs. Un pays doit être grand par la qualité de sa jeunesse et on ne saurait concevoir cette jeunesse sans un idéal sportif. » C’est par ces mots que le Général de Gaulle, en 1960, lance les bases d’une nouvelle politique sportive plus offensive, plus proche de la politique que du sport. En réponse à des Jeux Olympiques (Rome, 1960) particulièrement désastreux pour la France (5 médailles dont 0 en or, 25ème nation de la compétition), le gouvernement français comprend le besoin de briller à travers l’exploit sportif de ses citoyens. 

Affiche des Jeux Olympiques d’été 1960 à Rome.

Au – delà de la simple consécration personnelle, c’est toute une nation qui brille derrière son sportif. Avec le développement des médias de masses, il est désormais inconcevable pour un pays de ne pas les utiliser. En les mettant en œuvre, un pays peut proposer une image améliorée de son territoire, sa culture et sa politique.

Que ce soit la radio ou la télévision, et maintenant tous les supports liés à Internet, les médias contribuent à faire du cyclisme, et du sport en général, un ‘‘stade’’ à ciel ouvert. Les épreuves ne se limitent plus aux routes empruntées par le peloton. Tous, où que nous soyons, pouvons accéder à l’épreuve. Et cette retransmission par la voix, l’image ou la plume constitue une vitrine de la région concernée. Depuis le 8 juillet 1958 et la première retransmission du Tour de France, c’est tout un pays plus globalement qui bénéficie de ces bienfaits. Les paysages empruntés en juillet sont désormais connus dans le monde entier. Ces paysages convainquent des milliers de personnes tous les ans de se rendre dans nos villes et campagnes.

La géopolitique, la science des relations

Au – delà de ce simple intérêt touristique, les enjeux géopolitiques gravitant autour du cyclisme sont légion. Mais avant de nous pencher sur une analyse géopolitique du cyclisme, définissions ces deux termes et posons les enjeux qui en découlent. Jean-Baptiste Noé, historien et géopoliticien, rédacteur en chef du magazine de géopolitique Conflit définit cette science comme « L’étude des rapports de force dans les espaces. Et aussi, son corollaire, l’étude des représentations mentales, dans les espaces et dans le temps. » Pour simplifier cette définition universitaire, nous pouvons donc retenir que la géopolitique c’est l’étude de la confrontation de deux entités. Ce terme désigne aussi bien un pays, un cycliste seul, une équipe, l’organisateur d’une course ou encore un équipementier. Et dans cette étude, nous prenons en compte les critères géographiques, politiques, économiques, sociaux et sportifs liés.

Pour ce qui est des enjeux des évènements sportifs et la raison de l’étude que nous allons mener, c’est Jean – Baptiste Guégan qui nous la donne. Il explique ainsi que depuis les jeux de la Grèce antique, apparus au VIIIème siècle avant J-C (il y a 2 700 ans) jusqu’à la globalisation actuelle, le sport est le reflet des relations internationales et qu’il permet de comprendre les défis actuels. Nous allons donc analyser le cyclisme au-delà du seul enjeu physique et compétitif, en regardant les relations et les échanges qui poussent à la construction du cyclisme tel qu’on le connait et l’apprécie aujourd’hui.

Pour terminer cette partie plus universitaire et peu sportive, il faut aborder le thème des soft power. Le soft power s’opposent au hard power. Cette théorie prône l’utilisation de la puissance militaire ou de sanctions économiques dans le but d’imposer sa volonté. Par opposition, le soft power est la capacité d’un Etat à influencer et orienter les relations internationales en sa faveur. C’est l’Américain Joseph Nye qui théorise ces deux concepts clés de la géopolitique en 1990. Pour rayonner, les Etats ont donc plusieurs outils de soft power à mobiliser comme les médias, la culture et donc le sport.

Bound to lead (1990), livre de Joseph Nye dans lequel il théorise deux concepts clés en géopolitique : le soft power et le hard power

Le cyclisme, terreau de soft power ?

Quand l’on se penche dans les coulisses du cyclisme, on se rend compte que rien n’est le fruit du hasard. La constitution d’une équipe, son naming mais aussi le recrutement, sont la conclusion d’une réflexion poussée et s’inscrivent dans une stratégie de communication plus large. La création d’une course et son environnement, tout est calculé. Le cyclisme revêt, pour certains, que le rôle d’un outil politique parmi tant d’autres. Si l’on sort du cyclisme uniquement comme sport, le vélo est le premier moyen de transport utilisé dans le monde, loin devant la voiture. Au niveau politique, il cristallise toujours plus les opinions et occupe une place considérable dans les aménagements d’un territoire. Il est aujourd’hui inconcevable de ne pas parler de vélo dans le débat public. Dans la réflexion que nous mènerons sur le cyclisme, nous nous cantonnerons à la pratique sportive.  

Le vélo comme pratique sportive connaît une explosion depuis plusieurs années. L’application Strava nous donne toute une série d’indications chiffrées pour comprendre l’ancrage de cette pratique dans nos habitudes. Plus de 16 milliards de kilomètres ont été parcouru et enregistré sur l’application en 2021 à travers la planète. Ce chiffre est à nuancer car prend aussi en compte le vélotaf. La France est l’un des pays moteurs avec presque un milliard de kilomètres enregistré (993,9 millions) sur cette même année.

Ces deux statistiques nous permettent de mieux estimer la part de la population réceptive au cyclisme professionnel. Elle constitue un réservoir d’individus potentiellement intéressé de suivre les coureurs du monde entier. Au-delà des seuls pratiquants, ce sont donc des centaines de millions d’individus qui sont touchés par le monde du cyclisme. Cette audience atteint des proportions non négligeables pour les pays du monde entier et acteurs privés qui peuvent ainsi pratiquer une politique de soft power qui sera reçue à coup sûr par la population.

Un dossier pour tout comprendre

A travers les continents, au-delà des océans mais aussi dans le village voisin de chez nous, nous étudierons concrètement comment ce soft power s’exprime dans le cyclisme professionnel. Tous les premiers vendredis des mois de février à juillet, je vous emmènerai dans un voyage à travers la géopolitique du cyclisme. Du pays aux mille collines qu’est le Rwanda jusqu’aux Champs-Elysées empruntés par les meilleurs coureurs lors du Tour de France, nous tenterons de comprendre le cheminement et les discussions qui construisent le cyclisme professionnel. A l’aide de chiffres, de cartes et d’autres outils statistiques, je vous dresserai un tableau des coulisses de ce sport qui nous fait tous vibrer : le cyclisme !

Rendez-vous le vendredi 3 février pour parler de l’Arabie Saoudite et l’équipe Jayco-AlUla.

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