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Jayco-AlUla, vitrine touristique de l’Arabie Saoudite

by François-Xavier Roux

Depuis le 1er janvier 2023, le peloton masculin a découvert AlUla. Co-sponsor de l’équipe Jayco-AlUla, anciennement BikeExchange-Jayco, cette entité reste assez mystérieuse pour les passionnés de cyclisme. J’ai donc cherché qui se cache derrière ce nom : une destination touristique d’Arabie Saoudite. Quelles sont donc leurs motivations pour investir massivement dans le cyclisme ? Après la réapparition du Saudi Tour en 2020, ce pays oriental continue son développement dans le vélo.

AlUla, une région d’histoire, de culture et de tourisme

Située dans le nord-ouest de l’Arabie Saoudite, la région d’AlUla est au cœur de la politique culturelle et touristique du pays pétrolier. Des inscriptions et autres traces archéologiques trouvées sur place font remonter l’histoire de cette région au premier millénaire avant Jésus-Christ. S’ensuit une riche période pour la région, intégrée successivement dans les royaumes d’Arabie du nord (IXème – Ier siècle avant JC), le royaume nabatéen et l’empire romain (Ier siècle avant JC – IVème siècle après JC). L’arrivée de Mahomet en 630 après JC vient bouleverser cette région en lui insufflant une culture islamique, encore très présente aujourd’hui. La région connaît une occupation ottomane à partir du XVIème siècle jusqu’à l’unification de l’Arabie Saoudite en 1932.

Cette riche histoire a doté la région d’AlUla d’un patrimoine matériel précieux. Même si dans un premier temps l’Arabie Saoudite a fondé son pouvoir sur le pétrole, la valorisation de ce patrimoine connait un souffle nouveau depuis peu. Bien qu’en 2008, le site de Mada’in Saleh, similaire à celui mondialement connu de Pétra, est inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO, ce n’est qu’à partir de 2017 que la région bénéficie d’une vraie stratégie de développement touristique. Son nom vient de la ville d’AlUla, chef-lieu du comté et qui abrite au total 50 000 personnes sur un territoire équivalent à la Lorraine.

Carte de l’Arabie Saoudite, et la région d’AlUla
© AFAlUla

Mohammed ben Salmane (MBS) devient le 21 juin 2017 le prince héritier d’Arabie Saoudite. Conscient de la raréfaction du pétrole, il souhaite diversifier l’économie saoudienne et trouver une alternative au système économique du pays basé sur cette ressource. Il met donc en place le projet Vision 2030. Un des axes de ce projet est de placer le patrimoine touristique et culturel de l’Arabie Saoudite au cœur d’une ambitieuse politique d’ouverture sur le monde. Jusqu’alors, l’Arabie Saoudite laissait délibérément le tourisme en-dehors de leur politique.

Quelques mois après son arrivée au pouvoir, en novembre 2017, alors qu’Emmanuel Macron est en visite officielle aux Emirats Arabes Unis, le président français s’arrête sur le chemin du retour 3 heures à Riyad (capitale de l’Arabie Saoudite) pour une entrevue avec MBS. Au programme des échanges se retrouvent entre-autres les projets touristiques et culturels du pays. Un accord, qui lie la France au projet AlUla, est ainsi signé entre les deux puissances le 10 avril 2018 à Paris. La France s’engage à co-piloter, en partenariat avec la Royal Comission for AlUla (RCA), le développement de la région, au travers de l’Agence Française pour le développement d’AlUla (AFAlUla). 

Le développement du cyclisme en Arabie Saoudite

Les autorités saoudiennes saisissent l’importance d’investir dans le sport, moyen de communication massif. Depuis cette date, et dans de nombreux sports, nous pouvons remarquer un accroissement galopant des initiatives sportives saoudiennes. Automobile, équitation, trail… les exemples sont nombreux mais nous resterons principalement sur le cyclisme. Courses cyclistes, sponsoring d’une équipe, l’Arabie Saoudite et ses régions s’inscrivent durablement dans le monde professionnel et international. Nicolas Lefebvre, directeur Tourisme et Hospitalité d’AFAlUla, nous rappelle cependant qu’il faut bien distinguer les investissements de l’Arabie Saoudite (sur le Saudi Tour) et ceux d’AlUla (dans l’équipe cycliste). AlUla n’est qu’un composant du pays et c’est cette région qui s’est engagée dans l’équipe Jayco-AlUla et non le pays. Il est donc difficile de comparer l’équipe Jayco-AlUla avec les autres équipes sponsorisées par des pays du Golfe comme la Bahrain Victorious, qui sont des projets nationaux et non régionaux.  

C’est avec un train de retard, par rapport à ses voisins du Golfe, que l’Arabie Saoudite se lance dans le cyclisme de haut niveau. En 2016, le Qatar annonce le début des hostilités en organisant les Championnats du monde de cyclisme. Peter Sagan y remporte la course en ligne homme, au sprint devant Mark Cavendish et Tom Boonen. Quelques temps après, les Emirats Arabes Unis se lancent dans la course en rachetant l’équipe italienne Lampre, qui prend pour nom en 2017 UAE Team Emirates.

En 2019, les autorités émiraties fusionnent le Tour d’Abu Dhabi et le Dubaï Tour pour donner naissance à l’UAE Tour. Intégré au calendrier World Tour, ce pays a désormais une garantie de visibilité de son patrimoine et de ses paysages. Le Qatar a aussi possédé sa propre course cycliste (Tour du Qatar) mais qui disparait en 2017 suite à un manque de financement et de reconnaissance. Elle représentait ainsi un intérêt limité pour les dirigeants qataris. La course figurait alors au calendrier UCI Asia Tour en catégorie 2.HC.

Parcours du Saudi Tour 2023 autour de la ville d’AlUla
© 2023Géoatlas.com

En 2020, l’Arabie Saoudite s’engage elle aussi dans l’aventure du cyclisme professionnel. Du 4 au 8 février, 128 coureurs s’élancent pour cinq jours d’épreuves autour de Riyad, la capitale. Le Tour d’Arabie Saoudite ne s’était pas déroulé depuis sept ans (édition 2013 remportée par Murad Tarik Obaid, un cycliste émirati) ! Les organisateurs parviennent toutefois à faire venir quatre équipes World Tour, onze Proteams (dont quatre françaises) et trois Continentales. Cette ambitieuse startlist pour une première édition démontre la volonté saoudienne de figurer dans le top niveau du cyclisme.  Lors de la deuxième édition (en 2022 car le Covid conduit à l’annulation de l’édition 2021), les coureurs évoluent exclusivement dans la région d’AlUla. La ville accueille même quatre arrivées sur cinq ! Ce choix de parcours n’est pas anodin.

Après la capitale, on assiste à une mise en valeur de cette région et de ses paysages. La région d’AlUla sort de son anonymat ! Les adeptes de sport automobiles avaient déjà pu découvrir cette région lors du Dakar 2020. Nicolas Lefebvre nous en apprend plus sur les rapports entre le pays et le comté (appellation administrative du découpage saoudien) d’AlUla dans l’organisation du Saudi Tour. Le Saudi Tour est un projet du ministère des sports d’Arabie Saoudite, ASO un prestataire (et non l’organisateur comme pour le Tour de France) mais la région d’AlUla a réussi à négocier le fait que la course se déroule autour de son chef-lieu pour promouvoir son patrimoine.

Le cyclisme comme outil publicitaire

L’arrivée massive de l’Arabie Saoudite n’est pas le fruit du hasard mais bien la conclusion d’un projet plus global, s’inscrivant dans des enjeux géopolitiques complexe. L’arrivée d’AlUla comme sponsor de l’équipe GreenEdge ne date pas du 1er janvier 2023. Dans ses rangs se trouve Welays Hagos Berhe, un espoir africain que nous avons interviewé. Depuis juillet 2021, la région d’AlUla sponsorise la Team BikeExchange. C’est donc d’un sponsor rodé qu’hérite la BikeExchange en ce début d’année. Avec cette nouvelle étape franchie, AlUla assure désormais une présence permanente dans le cyclisme, à travers le monde. Ils bénéficient d’un retour médiatique particulièrement important, et qui comparé à l’investissement économique paraît bien avantageux. Une enquête réalisée par Kantar Média en 2018 sur plusieurs équipes cyclistes conclut que l’équivalent publicitaire d’un sponsoring en titre d’une équipe est en moyenne dix fois supérieur à celui réellement investi.

Jayco-AlUla est aussi une équipe féminine (Alexandra Manly sur la photo)
© Key Tsuji

Lorsqu’elle était seulement traversée par le Tour d’Arabie Saoudite, la région d’AlUla ne parlait qu’aux seuls passionnés de cyclisme qui s’intéressent à ce sport. Aujourd’hui, son nom s’exporte à travers le monde au rythme du calendrier des courses sur le maillot des coureurs Jayco-AlUla. Sport très populaire, investir dans le cyclisme (que ce soit comme sponsor ou organisateur d’une compétition), se révèle être un outil très performant pour gagner en capital sympathie auprès de la population. Au travers de leur équipe cycliste, le comité responsable du développement du projet d’AlUla parvient à toucher des populations qui jusqu’alors pouvaient être totalement en-dehors des canaux de communications traditionnels. La spécificité du cyclisme rend possible ce gain communicationnel. En effet, le cyclisme international et professionnel consiste en une succession de compétitions se déroulant devant la porte des individus.

Cet engagement est donc un des nombreux rouages utilisés par l’Arabie Saoudite pour mettre en œuvre le projet Vision 2030. Lancé en 2016 et porté par Mohammed ben Salmane, ce projet a pour ambition de multiplier le nombre de visiteurs par cinq en quinze ans. A son terme, en 2030, l’Arabie Saoudite prévoit d’accueillir près de 40 millions de visiteurs étrangers par an. En incluant les déplacements touristiques des Saoudiens au sein de leur pays, la RCA et AFAlUla tablent sur une mobilité de 100 millions d’individus.

Le projet de développement d’AlUla est la mise en œuvre du projet vision 2030, qui se réalise au niveau national. De nombreux autres sites bénéficient d’un développement accéléré, comme celui de Red Sea, qui prévoit d’héberger une grande station balnéaire sur les bords de la Mer Rouge, ou encore la ville de Neom, qui sortira du désert et concentrera les technologies et le savoir-faire des XXIème et XXIIème siècle. Cette ville organise et accueillera les Jeux asiatiques d’hiver 2029, avec des montagnes environnantes dépassant les 2 000 mètres d’altitudes. 

Faire d’AlUla un paradis du cyclisme

AlUla n’utilise pas le cyclisme comme un simple panneau publicitaire mais en fait un réel slogan de communication. Dans les projets d’aménagements de la région, le cyclisme occupe une place considérable. Nicolas Lefebvre nous explique qu’ « AlUla veut faire du vélo un levier de développement ». En incluant les préoccupations contemporaines liées au développement durable et aux mobilités douces, le vélo occupe une place de choix dans le projet régional. L’investissement dans le cyclisme et le sponsoring de l’équipe Jayco-AlUla s’explique donc. 

Des paysages à valoriser par la pratique du cyclisme
©AFAlUla

En sponsorisant l’équipe BikeExchange en 2021, c’est avant tout un partenariat avec GreenEdge Cycling, qui possède l’équipe masculine et féminine. Propriété de Garry Ryan, un Australien qui a consacré sa vie au développement du sport dans son pays, ce groupe place aussi la conservation et le maintien d’écosystèmes respectueux de l’environnement au cœur de sa politique. Propriétaire toujours dynamique, AlUla a trouvé ici un partenaire qui partage la même vision du cyclisme : soucieux de l’environnement, mais aussi qui voit le cyclisme comme un moyen de conserver sa bonne santé et comme moyen de transport.

Toutes ces idées se retrouvent dans le projet AlUla, au travers des éléments de communication mais aussi la construction d’infrastructures sur place. « Qu’il s’agisse de la route panoramique ou des pistes cyclables, équestres et pédestres, tout a été pensé pour faciliter la mobilité, adopter une approche basée sur l’expérience touristique, et promouvoir les trajets à faible émission de carbone » pouvons-nous lire sur le site de l’AFAlUla.

Cette région saoudienne voit le vélo sous deux angles. Le premier est un angle compétitif. Le second aborde le vélo comme une pratique sportive et un outil de mobilité. Ces deux axes sont au cœur du projet Vision 2030. Les autorités saoudiennes souhaitent voir le développement de la pratique du vélo pour leur population, mais aussi les touristes. La richesse archéologique du comté d’AlUla sera accessible par des tracés cyclables. Les responsables du projet d’ouverture sur le monde d’AlUla ne délaissent pas pour autant le cyclisme comme compétition. En parallèle du Saudi Tour 2023, qui se déroule actuellement, toute une série d’animations sont prévus pour les 40 000 habitants de la ville d’AlUla pour progressivement doter la population de cette culture sportive. La population est réceptive à l’intégration de cette culture cycliste.

La participation pour la première fois d’une équipe saoudienne, composé exclusivement de Saoudiens, dans cette compétition témoigne de cette réussite ! Le projet de création de clubs cyclistes n’est ainsi pas écarté, même si actuellement c’est plus l’équitation qui préoccupe les dirigeants. Des courses d’endurance équestres et des compétitions internationales de polo se déroulent annuellement dans la ville. Interrogé sur d’éventuels partenariats entre le cyclisme français et le cyclisme saoudien, comme celui entre la RCA et AFAlUla, Nicolas Lefebvre de l’AFAlUla explique que rien n’est prévu pour le moment mais qu’il est possible de voir dans le futur l’apparition de projets communs et qu’ils étudient comment associer les acteurs français du cyclisme à AlUla, à l’image de ce qui se fait dans d’autres secteurs d’activités (architecture, archéologie, hôtellerie, …)

Dans cette étude, nous sommes principalement resté sur AlUla et le Saudi Tour. Il faut toutefois noter que cette dynamique saoudienne ne s’arrête pas là. Le 24 octobre 2022, la Movistar et la fédération saoudienne de cyclisme ont annoncé la signature d’un partenariat. Euzebio Unzué, manager général de la Movistar, a ensuite précisé que ce partenariat a une chance d’évoluer. L’équipe Movistar veut augmenter son budget ce qui passe par un sponsoring plus important. Cela permettrait à Movistar de se rapprocher des cadors que sont Ineos Grenadiers (46 millions d’€/an), UAE Team Emirates (35 millions d’€/an) et la Jumbo-Visma (25 millions d’€/an). Les projets saoudiens ne sont pas prêt de s’arrêter dans le cyclisme !

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