On ne présente plus le jeune coureur franco-russe, membre du surpuissant collectif Ineos. Considéré par de nombreux suiveurs comme un potentiel vainqueur de grand tour, son talent ne fait aucun doute, qu’il soit russe ou français. Focus sur une pépite du cyclisme mondial…
Le cyclisme, une affaire de famille
Pavel naît en 1997 à San Donà di Piave, non loin de Venise, de parents russes. Tous deux cyclistes de haut niveau, Pavel évolue dans un milieu ultra sportif. Sa mère, Aleksandra Koliaseva, est sacrée championne du monde du chrono par équipe deux années de suite (en 1993 et 1994), et son père Alexei Sivakov est coureur professionnel jusqu’en 2005, chez Bigmat Auber 93 notamment, avec quelques beaux résultats à son actif sur le sol européen. La petite famille s’est installée en région parisienne peu après la naissance de Pavel, avant de déménager en Haute Garonne. C’est donc assez naturellement qu’il prend sa première licence, à 13 ans, au St Go Cyclisme Comminges. Il gravit rapidement les échelons chez les jeunes et se fait remarquer très tôt, décrochant de beaux succès, parmi lesquels le Tour des Flandres juniors et le Tour de Haute Autriche juniors. Pavel est alors âgé de 18 ans, et se destine à une carrière de coureur professionnel.
Une ascension rapide
Ses résultats n’ont pas laissé indifférent le staff de l’équipe BMC Development, réserve de sa grande sœur en World Tour. Il signe en 2016, pour sa première année espoir, et poursuit sa progression vers les rangs professionnels. 2e de Liège Bastogne Liège espoir et de l’Olympia’s Tour, il décroche également sa première victoire chez les moins de 23 ans à l’occasion du prologue du Tour de Berlin, preuve de ses qualités de rouleur. L’année suivante, il devient le premier coureur espoir à s’imposer sur la Ronde de l’Isard, le Baby Giro et le Tour de la Vallée d’Aoste dans la même saison. Il s’impose également sur la dernière étape du Tour de l’Avenir, remporté par Egan Bernal, en démontrant de très belles qualités de grimpeur. Il termine sa saison 2017 sur cette note positive, alors qu’il obtient la nationalité française après avoir passé 19 ans sur le territoire.
En 2018, alors qu’il avait passé 2 saisons au sein de la formation BMC Development, il signe avec la mythique équipe Sky et rejoint Geraint Thomas, Chris Froome, Michal Kwiatkowski ou encore son ancien rival Egan Bernal au sein de celle que l’on considère alors comme la meilleure équipe du monde, avec 2 victoires en grand tour l’année précédente.
Un potentiel hors du commun
Pavel Sivakov effectue ses premiers tours de roue chez les pros à l’occasion de la semaine internationale Coppi et Bartali. Pour son premier jour de course, il réalise deux demies étapes, et remporte la seconde, un contre la montre par équipe. Il terminera 4e du classement général 3 jours plus tard grâce à une 7e place au CLM individuel, devant Fausto Masnada, Giulio Ciccone, Ivan Sosa ou encore Guillaume Martin. Des débuts plus que réussis, qui lancent parfaitement sa première saison professionnelle. Il poursuit cette année-là avec quelques belles performances en Europe, et notamment une 6e place sur le CLM final du Tour de Suisse et une deuxième place sur son championnat national de la spécialité. Les bases sont posées, Sky tient là une pépite dont le talent ne fait aucun doute. À 21 ans, il rivalise avec d’excellents coureurs, que ce soit en montagne ou sur l’effort solitaire.
C’est sans doute au cours de la saison 2019 que Pavel a pour la première fois fait parler de lui à l’échelle internationale. Lui qui n’était pourtant pas un inconnu, va franchir un cap lors du Tour des Alpes, qu’il va remporter aisément devant son coéquipier Tao Geoghegan Hart, et un certain Vincenzo Nibali, à quelques jours du Giro. Rafal Majka, Alexandr Vlasov et même un Fausto Masnada étincelant ne pourront rien faire face au jeune grimpeur, impressionnant de maîtrise sur ces quelques jours de course.
On le place, à tort, comme l’un des favoris pour le Giro. Lui est là pour apprendre, et surtout terminer son premier Grand Tour, sa Vuelta 2018 s’étant soldée par un abandon après 14 jours de course. Il termine 9e de ce Tour d’Italie, alors que Richard Carapaz se fait une place au palmarès de l’épreuve. Pavel, lui, poursuit sa route au Tour d’Occitanie, ou une 8e place l’attend à l’arrivée. Le Tour de Pologne, second temps fort de sa saison, se conclut pour lui de façon idéale et achève de convaincre son staff et les nombreux suiveurs de son potentiel, il repart avec la victoire finale et le plein de confiance pour la suite. Il termine sa saison sur une 4e place au classement général du Tour de Grande Bretagne, avant d’abandonner sur les terribles mondiaux du Yorkshire.
Ombre et lumière
La saison 2020 de Pavel Sivakov est donc, à juste titre, très attendue. Le jeune homme concentre l’attention des médias, et le doute qu’il laisse planer sur la possibilité de courir sous les couleurs de la France alimentent les débats le concernant. Pour le moment, la bannière russe est encore la sienne, mais un passage dans les rangs des bleus se fait sentir.
Il débute sa saison en Australie, sur le très prisé Tour Down Under, où il se classe 16e après avoir travaillé pour ses leaders Rohan Dennis et Dylan Van Baarle. Il se distingue ensuite sur un terrain assez nouveau pour lui à l’occasion de la Cadel Evans Great Ocean Road Race, qu’il termine à la 2e place après une belle échappée aux côtés de Dries Devenyns. Puncheur en Pologne, rouleur en Suisse, et maintenant baroudeur en Australie, voilà un garçon plein de ressources qu’on ne saurait limiter à ses qualités de grimpeur. Sa saison se poursuit au Tour de la Provence, sans grand éclat, avant qu’il ne pose à nouveau ses roues sur la Route d’Occitanie. L’annulation de nombreuses épreuves a permis de réunir un plateau de choix, avec entre autres Egan Bernal, son coéquipier, Alexandr Vlasov, Thibaut Pinot, Bauke Mollema, Richie Porte, Romain Bardet… La crème du cyclisme mondial se dispute la victoire sur les routes françaises, et Pavel compte bien se mêler à la lutte. La décision se fait sur la 3e étape, qu’il termine 2e après avoir emmené Egan Bernal dans l’ultime ascension. Il devance d’ailleurs son compatriote Alexandr Vlasov par la même occasion, et terminera le lendemain au contact des meilleurs, sécurisant sa 2e place au classement général par la même occasion. Dès lors, les spéculations vont bon train. Nous sommes début août, à seulement trois semaines du départ du Tour de France, et on le cite déjà comme l’un des coureurs à suivre sur cette Grande Boucle qu’on annonce imprévisible.
Un dernier arrêt sur les routes du Dauphiné confirment son état de forme, et l’abandon de Bernal le propulsent le dernier jour dans un rôle de leader, qu’il assume parfaitement en prenant les commandes de la course, jouant offensif pour tenter de grappiller du temps au général. Mais il est victime d’une chute qui lui fait perdre du temps, le plaçant dans une situation délicate. Il termine malgré tout 4e de l’étape, juste derrière un certain Tadej Pogacar.
Les attentes sont au maximum, les difficultés d’Egan Bernal, l’absence de Chris Froome et Geraint Thomas laissent une fenêtre intéressante pour Sivakov, que l’on surveille de plus en plus. Mais sa saison prend un tournant innatendu dès la première étape, balayée par une pluie qui va finir par l’envoyer au tapis. Une chute, suivie d’une seconde quelques minutes plus tard, qui vont lui coûter une longue course poursuite, et qui lui coûteront 13 minutes à l’arrivée. La déception est terrible, les séquelles physiques le sont tout autant. Souffrant chaque jour dans le peloton, Pavel s’accroche dans l’espoir d’épaule son leader en montagne le moment venu. Mais Egan Bernal abandonne en début de troisième semaine, laissant l’équipe Ineos en piteux état. Loin d’être résigné, Pavel se lance le lendemain dans une échappée courageuse, s’offrant la 4e place de l’étape et effaçant en partie sa déception des derniers jours. Il boucle l’épreuve dans l’anonymat et met fin à sa saison, avec un goût d’inachevé…
En route vers les sommets
Cette année 2020 particulière, rythmée par un calendrier inédit, lui a permis de confirmer les espoirs placés en lui malgré cette fin brutale. La saison 2021 se présente donc pour lui comme l’occasion de s’imposer comme le leader qu’il se voit devenir, mais la mission s’annonce ardue. Et pour cause, si le franco-russe a fait le choix d’une équipe de renom, il doit également accepter une concurrence interne sans commune mesure. Geraint Thomas, toujours tranchant, tient toujours le rôle de capitaine, et Egan Bernal malgré ses blessures reste un leader de choix. L’ascension fulgurante de Richard Carapaz laisse également peu de place à Sivakov, et la victoire surprise de Tao Geoghegan Hart sur le Giro redistribue les cartes, le plaçant dans une situation délicate. Le départ d’un Chris Froome en bout de course, vite remplacé par un retour de Richie Porte, 3e du dernier Tour, augmente encore cette pression, alors que les arrivées d’Adam Yates et Daniel Martínez laissent planer le doute sur la hiérarchie dans les rangs de Dave Brailsford.
La tâche de Pavel Sivakov dans les prochains mois sera donc de se faire petit à petit une place dans cette équipe à la densité extrême, s’il veut pouvoir exploiter ses qualités. Sous contrat avec sa formation jusqu’à la fin de l’année 2023, le départ ne semble pas une option, c’est donc à la force du jarret qu’il faudra se faire une place. Mais sans doute cela rime-t-il avec progressivité, car dans une posture aussi incertaine que la sienne, la clé semble être d’avancer pas à pas, pour se rapprocher d’ici 2022 d’un statut de co-leader sur un grand tour, à minima. La prochaine étape pour lui sera donc de faire ses preuves sur des épreuves intermédiaires telles que Paris Nice, Tirreno Adriatico, le Dauphiné ou le Tour de Romandie. Des épreuves World Tour d’une semaine qui pourraient lui permettre de renforcer la confiance de ses dirigeants et de ses coéquipiers, pour ensuite se diriger vers un Grand Tour et afficher ses ambitions. Ces grands tours qui le « font rêver », de son propre aveu, semblent être à sa portée, mais la montée en puissance de toute une génération talentueuse ne lui laissera que peu de marge de manœuvre. Mais si Pavel a rejoint l’équipe britannique, ce n’est pas pour se mettre la pression, mais pour acquérir de l’expérience auprès des meilleurs. À seulement 23 ans, rien ne presse, et la meilleure chose à faire est sans doute de poursuivre sa progression sans se fixer sur cet objectif majeur, qui se présentera à lui bien assez tôt. 2021 sera-t-elle la bonne année pour lui ?