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Entretien avec Benjamin Thomas (2/4): Piste-Route, performer sur le parquet et le bitume

by Gaspard Langrand
Benjamin Thomas après son Titre Mondial de l'Omnium

Benjamin Thomas, 27 ans, est sextuple champion d’Europe et double Champion du Monde de cyclisme sur piste. Il est également membre de l’équipe Cofidis sur route. Prenant une importance croissante au sein du peloton, nous avons réalisé un long entretien avec lui à la veille du lancement de sa 9ème saison en tant que cycliste professionnel. 

Dans la partie précédente, Benjamin Thomas nous parlait de la saison à venir et de ses objectifs. Ici, il nous parle de la Piste, de la Route et de l’alternance entre les disciplines.


Rouler sur le parquet

Cycling Times : En octobre 2022, ont lieu les championnats du monde sur piste où tu as ramènes l’argent en Omnium et l’or au Madison. En ce qui concerne l’Omnium, à la fin du premier jour, tu avais pas mal de retard sur le premier au niveau des points. Qu’est-ce que tu visais à la fin de ces jours-là ?

Benjamin Thomas : C’était une journée compliquée, surtout au début. Je n’étais pas trop dedans. J’étais un peu en retrait. Donc ça a été compliqué de se remobiliser. Il y a vraiment eu un switch, un changement d’attitude entre après la deuxième épreuve et sur l’élimination. A ce moment-là, je ne pensais plus forcément au résultat final. Plus à donner tout ce que j’avais.

Pas avoir de regrets, courir en me servant du public. Et c’est vraiment ça qui m’a aidé à retourner la situation. Je ne pensais pas forcément qu’il fallait absolument que je fasse une médaille ou gagner. C’était plutôt faire du mieux possible et voir ce que ça donnait. […] 

Si je me mettais sous pression, je ne serais pas allé très loin. 

C.T. : Dans le cadre des compétitions comme les championnats du monde où les courses s’enchaînent, comment peut-on gérer la récupération ? Est-ce qu’on se donne à bloc sur chaque épreuve ou bien il y a un système de gestion particulier ?

B.T. : On fait toutes les épreuves à fond. En général, on essaye de faire le moins d’efforts possible. Ça oui. Mais quand il faut faire des efforts, on les fait. Parce que c’est impossible de faire un résultat si tu ne t’es pas donné à 100 % au moment où il le fallait.

Donc il y a des moments où tu calcules tes efforts. Mais quand il faut faire l’effort, il faut y aller à 100 %. Il ne faut pas penser à la course d’après. Si tu fais les efforts à 95 %, tu n’obtiens pas le résultat qu’il faut. Et au final t’as fait un effort pour rien. Il n’y a pas de gestion immédiate. 

Après c’est clair que quand t’es descendu du vélo, il faut soigner tous les détails. Que ce soit bien manger, bien boire, récupérer, rester au calme, ne pas rester sur ses jambes. 

Et en course, c’est éviter les erreurs. Les erreurs tactiques, de boucher des trous inutilement… Ce sont ces erreurs-là qui font que, à la fin de la journée, ça pèse dans les jambes.

C.T. : Que t’apporte la route sur la piste et inversement ? 

B.T. : La route apporte de la résistance et de l’endurance, de pouvoir répéter des efforts, par exemple sur un omnium de ne pas plier les ailes physiquement et inversement. 

Sur la route, notamment en contre-la-montre, la piste me permet de savoir rouler vite, la capacité lactique. C’est-à-dire faire des efforts à très haute intensité. La piste m’apporte aussi d’un point de vue mental, ce sont des épreuves qui demandent beaucoup de concentration. Tu n’as pas le droit de te déconcentrer.

[…] Si vous avez des moments de stress, de tension, de savoir gérer ces moments là, c’est grâce à la piste, que ce soit des contre-la-montre, que ce soit des bordures, des sprints massifs ou des moments où ça frotte, de savoir ne pas paniquer et rester.

C.T. : Est-ce que les sensations sont les mêmes entre les deux disciplines ?

B.T. : Ah non, pas vraiment. C’est vraiment deux coups de pédale différents. La souffrance n’est pas si différente.

En contre-la-montre, à la limite, ça se rapproche un peu de la piste où on retrouve cette gestion de l’effort. La route, c’est quand même différent. C’est beaucoup plus long. La différence se fait sur la durée, sur la fatigue, sur 3 à 4, 5 h et réussir à être le plus frais possible dans le final d’une course.

C.T. : A propos des Jeux de Paris, qui arrivent à grands pas. Dans les mois qui vont précéder l’événement, est-ce que tu comptes mettre de côté la route pour préparer les Jeux ?

B.T. : Normalement, non. Il va y avoir des courses à mon calendrier dans les mois précédents les Jeux. Donc c’est sûr que l’objectif, ça sera les Jeux et que les courses sur route me serviront plus de préparation. Mais on ne peut pas, par exemple, se priver de trois mois de courses sur route avant.

C’est pas productif. Il vaut mieux continuer à courir pour entretenir la forme physique en le couplant avec un entraînement spécifique bis. C’est le meilleur moyen d’arriver performant. Mais tu ne peux pas ne pas faire de route. Et les deux, trois mois précédents les Jeux, ce serait perdre là-bas.

Rouler sur le bitume

Benjamin Thomas en compagnie d’Alexis Gougeard sur la route de la 15e étape du Tour 2022 menant à Carcassonne

C.T. : On va directement passer dans le vif du sujet avec le Tour de France. L’an dernier tu y as participé, qu’est-ce que tu retiens de cette course en général ? Qu’est-ce qui la rend si particulière ? 

B.T. : C’est vraiment une course où pendant trois semaines, on est aspiré par la course. En fait, on est vraiment dans notre bulle, en mode pilotage automatique. C’est-à-dire qu’on fait un peu la même routine tous les jours.

C’est la même chose tous les jours, sauf qu’on est sur une course où il y a énormément d’attention, de pression. Il se passe tous les jours beaucoup de choses. Il n’y a pas de journée tranquille ou de journées “normales”. C’est vraiment ça la spécificité du Tour et que la moindre action est amplifiée, démultipliée. C’est ce qui la rend particulière. 

Le fait qu’on fasse une échappée ou un résultat, c’est tout de suite beaucoup plus mis en lumière que sur n’importe quelle autre course. C’est vraiment ce qui la rend particulière au delà de tout public, du niveau et du fait que ça roule plus vite.

C.T. : Sur ce dernier Tour, tu as failli remporter une étape. Racontes-nous la.

B.T. : C’est une étape que j’avais cochée quelques mois à l’avance. Je l’avais repérée. Je connaissais déjà la plupart des routes vu que j’habitais dans la région quand j’étais plus jeune. Mon rêve était d’être échappé sur cette étape. Je pensais que ça allait être une étape désignée pour les baroudeurs où il y aurait une échappée matinale qui pouvait aller loin. Donc le plan, à la base, c’était vraiment de prendre l’échappée matinale. Au final, on s’est retrouvé avec seulement deux ou trois coureurs à l’avant et le peloton ne voulait pas laisser sortir plus de plus de coureurs. Quatre, cinq équipes contrôlaient pour que personne n’attaque. Et du coup, j’ai dû changer mes plans et me rabattre sur le final. Et en discutant un peu avec quelques équipes notamment, avec la Trek, ils parlaient d’accélérer dans la bosse à 60 kilomètres de l’arrivée et de durcir pour essayer de faire sauter les sprinteurs. C’était pour Mads Pedersen. Leur plan à eux, c’était de durcir. 

Et moi je me suis dit pourquoi pas s’ils durcissent, lancer une attaque en haut dans le final ? Parce que quand c’est dur comme ça, il y a moins d’équipiers pour contrôler. Si tu ressors avec un groupe c’est plus facile d’aller au bout que s’il y a quatre, cinq équipes de sprinteurs qui contrôlent. 

L’autre facteur qui m’a aidé, ça a été la grosse chaleur, notamment. Il a fait quasiment 40 degrés toute la journée, donc ça a usé énormément les organismes. Beaucoup de coureurs en ont souffert. Alors que moi, c’était limite là où je me sens le mieux. C’était quelque chose qui m’a aidé pour faire cette échappée. 

Et après, avec Alexis [ndlr : Alexis Gougeard], c’était c’était aussi le bon compagnon de route parce qu’il ne va jamais baisser les bras. Il ne va jamais ralentir l’allure. C’était le bon coureur pour sortir en échappée dans un final comme ça.

C.T. : Et au niveau des sensations ?

B.T. : […] 

Tu ne penses pas à grand-chose et t’essaye juste de penser à ta position, être le plus aérodynamique possible, parce que c’était un final en légère descente. On va dire que les 50 derniers kilomètres, c’était gérer vraiment cet effort.

Les sensations : t’as mal aux jambes, t’as mal partout. T’essaie de récupérer quand tu peux. S’arroser, boire, manger un peu et profiter quand Alexis prenait des relais pour récupérer un tout petit peu. Puis fallait repartir. C’était vraiment des hauts et des bas parce qu’il y a des moments où on perdait du temps, on en reprenait… On savait qu’il fallait mettre encore un cran pour le final. On savait que si l’on résistait jusqu’aux 10 derniers kilomètres, il fallait accélérer encore. C’était vraiment les cinq, six derniers kilomètres qui ont été les plus durs. Et là, il y a plus de calculs et j’ai tout mis. 

Au niveau sensations, t’as mal partout. Tu rentres dans une espèce de pilote automatique. Ton corps, tu le pousses vraiment dans ses derniers retranchements. Tu ne penses plus vraiment dans ces moments-là. C’est vraiment de la souffrance et t’essaye de te faire le plus mal possible en y croyant. 

Et après, ça le fait, ça ne le fait pas. C’est pas forcément toi qui décide. Sur le moment t’arrives plus vraiment à réfléchir de toute façon.

C.T. : Est-ce que c’était pour toi une injustice ? L’impression de revivre le final de Chaintré sur le Dauphiné ?

B.T. : Ouais, c’était un peu la même configuration : une échappée qui était vouée à l’échec. On était quatre coureurs et jamais plus de deux minutes d’avance. J’avais plus de regrets sur l’étape du Dauphiné qu’au Tour. Parce que le Tour, vraiment, je n’en retiens pas du tout une mauvaise expérience. Ça a été vraiment l’un des plus beaux moments du Tour de France. C’est l’un des plus beaux souvenirs d’être échappé sur ses terres. Alors que pour l’étape du Dauphiné, j’avais quelques regrets. Parce que je sais qu’on aurait pu aller au bout avec quelques relais plus appuyés. Ou avec une meilleure collaboration entre nous.

On aurait pu donner dix ou quinze secondes de marge en plus et se jouer la victoire au sprint. Alors que là, on peut compter en coup de pédale dans les derniers kilomètres et au final il nous manque que 300 mètres. J’ai un peu plus de regrets au Dauphiné qu’au Tour. Là, par contre, je ne peux pas faire grand chose de plus. Au final, c’était déjà bien d’avoir fait ça. 

C.T. : Ça ne te donne pas le sentiment d’être trop généreux par rapport aux autres ?

B.T. : Non, non, parce qu’il y a être trop généreux et faire des erreurs. Mais après, si quand tu te lance dans une galère comme ça, si t’es pas généreux, tu ne vas pas loin.

Donc il ne faut pas faire n’importe quoi non plus. Mais il faut savoir que tu n’es pas là pour compter des coups de pédale. Et il est rare que tu gagnes en comptant des coups de pédale. A moins que tu sois dans une échappée de 25 coureurs et que et que tu fasses rien, tu te caches puis tu vas gagner. Ce n’est pas forcément la meilleure façon de gagner. Mais il ne faut pas non plus être la bête à rouler, que tout le monde regarde et que les autres se disent :  “De toute façon, je le laisse rouler car je sais qu’il ne va jamais sauter de relais”. Il ne faut pas non plus donner cette image là parce qu’après, les autres s’en servent trop facilement.


La semaine prochaine Benjamin Thomas nous donnera plus d’informations sur son arrivée chez Cofidis. Il nous donnera les raisons de son départ de Groupama-FDJ et comment il envisage son avenir.

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