L’information relevait plus du buzz que d’autre chose, et en avait heurté plus d’un. Rohan Dennis, double champion du monde en titre sur l’exercice chronométré, et pensionnaire de l’équipe Ineos, poste une photo dans sa voiture, en pleine confinement, sur les routes espagnoles, avec un message très provocateur : « Jour 34. J’ai craqué et j’ai quitté la maison. Le Covid-19 et la quarantaine peuvent aller se faire f… ». Un écart qui ne pardonne pas dans le milieu, et qui a été sévèrement critiqué par les presse et le grand public, l’obligeant à fermer ses comptes sur les réseaux sociaux. Mais au-delà du simple aspect moral, cet incident révèle le malaise qui règne pour les cyclistes professionnels, privés d’entraînement en extérieur depuis plus d’un mois. Certains peuvent encore s’entraîner normalement, comme c’est le cas pour Remco Evenepoel en Belgique par exemple, qui enchaîne les sorties d’endurance sur les routes du Tour des Flandres. Mais pour beaucoup, enfiler une veste et remplir ses poches de gels énergétiques pour sortir pendant 5 heures relève plus du fantasme. En France, mais aussi en Espagne ou en Italie, les coureurs ne bénéficie pas de cette souplesse et doivent s’astreindre, eux-aussi, au confinement le plus strict. Une situation difficile à gérer pour certains d’entre eux, à l’image de Thibaut Pinot, qui se confiait récemment à ce propos : « Ce n’est quand même pas simple pour moi. Je revenais tout juste après une longue pause de six mois, ce qui est beaucoup. Une pause, c’est déjà énorme. J’ai eu du mal à revenir au niveau et j’ai peur de devoir cravacher encore plus après ce nouvel arrêt. Est-ce que les trois petits mois que j’aurai pour préparer le Tour seront suffisants ? Je l’espère, en tout cas ». De la frustration, et aussi, sans doute, un manque de motivation pour le coureur de la Groupama Fdj, qui s’entraîne tant bien que mal pendant cette période difficile. Un sentiment partagé par beaucoup d’entre eux, qui s’inquiètent pour leur reprise, mais aussi pour l’équité sportive, mise à mal par les divergences de politiques selon les territoires. Le syndicat représentant les coureurs professionnels en France a ainsi déposé une demande de dérogation pour leur permettre de s’entraîner, qui n’a pas obtenue de réponse.
Une pression grandissante
Au-delà des aspects pratiques du confinement, la pression subie par les coureurs professionnels est très importante en ce moment. Il est vrai qu’il est extrêmement ardu pour un sportif de haut niveau de passer de 30 heures d’entraînement hebdomadaire à quelques heures de home trainer. Le doute, le manque de confiance, la baisse de forme, autant d’aspects qui viennent ébranler leurs certitudes, dans un milieu déjà précaire. Que penser des coureurs en fin de contrat, qui n’auront que quelques semaines en fin de saison pour prouver leur valeur ? Les risques psychologiques sont réels pour nombre d’entre eux, qui voient leurs plans de carrière remis à zéro par cette crise. L’absence de contrôle antidopage est également sévèrement critiquée, car dans une période comme celle-ci, où la pression est à son maximum, et où les écarts se creusent, il serait bienvenu d’entretenir un contrôle, pour éviter les dérives probables en ces temps troublés. Nans Peters évoquait récemment ses inquiétudes à ce sujet, critiquant également le manque de cohérence de la situation, et notamment le fait que les coureurs ne puissent exercer leur activité alors même qu’il est possible d’effectuer des services de livraison à vélo, une pratique bien plus risquée que l’entraînement en solitaire. En tout cas, cette période trouble aura redistribué les cartes, et les surprises devraient être nombreuses au moment de raccrocher les dossards, tout comme les déceptions…